GRAVIERE

 

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43° 50' 08'' N - 1° 23' 47'' W

J’avais récupéré la vieille berline de mon père, celle qu’il ne sortait jamais de peur de tomber en panne et de devoir se lancer dans des théories mécaniques insurmontables. Les ressorts des sièges grinçaient et ça sentait bon le vieux cuir. Ce jour-là, je prenais la route tout droit vers l’océan. Ces derniers temps, la vie semblait filer. Sans moi.

Un besoin de rompre avec tout ça, de souffler un peu. Un truc simple, moi, la mer. Basta.

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Après plusieurs bornes et quelques sursauts d’angoisse en entendant le moteur de la caisse hoqueter bruyamment, j’arrive dans les Landes, ma terre promise. La nature est étonnante par ici, sur de vastes étendues plates, des arbres sont piqués là, par petits attroupements comme enclins à rester groupés quoiqu’il arrive.

Plus loin, je longe une forêt insondable. J’approche du but.

Le sable apparaît sur les bas-côtés, envahissant. Je me gare sur une esplanade désertique non loin des dunes qui bouchent la vue. Y a une ancienne station essence désaffectée aux couleurs fanées par le soleil et le sel.

En cette saison, y a pas âme qui vive, on se croirait dans un de ces films allemands aux teintes grises et aux costumes trop sérieux.

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Je débarque sur une plage vaste mais déjà chargée malgré la saison. Beaucoup de monde. Des minots se chamaillent devant leurs parents exaspérés, un chien vient s’ébrouer à côté de moi en aboyant sur un bout de bois inoffensif. Ça court, ça crie et les postes de radio brayent des musiques qui s’emmêlent.

Je tends l’oreille pour capter le son du ressac.

Bah l’océan attendra. Il est tard, j’ai faim. Je continue et atteins quelques bicoques qui somnolent près de l’eau. C’est sommaire mais assez exotique, les murs en bois bariolés de motifs colorés sont ornés de quelques surfs. J’y trouverai de quoi me sustenter.

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Plus tard, j’entre dans un bar, rescapé de la saison estivale. L’intérieur est tout en bambou et les spots verts diffusent une ambiance surréaliste en contraste au néon rose bonbon Aloha. Je remarque dans un coin un type un peu différent des quatre gamins venus siffler un mojito. Il est assis seul à une table avec juste un drôle de chien hirsute tapi à ses pieds.

Ces deux-là rivalisent de no style. La cinquantaine, les yeux bleus et quelques mèches blondes en bataille qui s’échappent de sa casquette élimée. Je lui offre une de ces canettes de bière qui garnissent déjà sa table et me joins à lui. J’apprends qu’il vit dans les Landes depuis son plus jeune âge et qu’il n’a jamais quitté la Côte.

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Il a bourlingué du Nord au Sud sans jamais perdre l’eau de vue. De petits boulots saisonniers en bonheurs simples, il n’a cessé de se ressourcer dans ces terres sauvages.

La picole le rend poétique et fort sympathique mais je ne reconnais pas l’aspect exaltant qu’il évoque. En creusant un peu, j’apprends qu’il existe un trésor au milieu des dunes. Une plage sans nom car méconnue de la plupart, seuls certains locaux se garderaient le secret du lieu.

"Un cadeau de la nature pour ceux qui savent s’oublier et sortir des sentiers," avait-il dit un début de sourire aux lèvres.

Mais dans les vapeurs d’alcool, je ne suis plus certain que tout cela ait un sens. Je rentre d’un pas hésitant et m’écrase sur le similicuir glacé de la rassurante Volvo des parents.

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Arraché de ma courte nuit par les premiers rayons de soleil qui percent au travers des vitres embuées, les souvenirs grandiloquents de cette rencontre improbable refont surface. 

Je me rends à l’endroit qu’il m’a vaguement indiqué. C’est une zone de no man’s land. Au bout, une forêt. J’avance en guettant un signe. Je cherche un croisement étrange ou un arbre curieux, quelque chose qui allume une étincelle d’intérêt en moi. Mais rien ne vient.

Je poursuis ma promenade nonchalamment, le nez en l’air. Les pins des Landes, très hauts, s’entrechoquent lentement dans un léger bruissement. C’est apaisant, une sorte de quiétude m’envahit.

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Je marche un moment pieds nus pour sentir le sable frais entre mes orteils, les baskets attachées autour du cou. Le sol s’est couvert d’aiguilles de pins qui me font grimacer à chaque pas. Je ressens ce qui m’entoure, chose qui ne m’est pas arrivé depuis longtemps. 

Je réalise qu’il n’y a plus de sentier tracé, les fougères sont plus denses et il me faut plusieurs fois ouvrir le chemin avec une branche.

Je suis perdu.

Qu’importe, je me sens bien et continue sans plus aucun but. Juste l’envie de vivre cet instant et de le savourer.

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Plus tard en renouant mes lacets, j’apercevrai un scintillement entre les branches. Je me laisserai guider par cette lueur salvatrice.

Une dune de sable à gravir comme un dernier don de soi et la plage apparaîtrait. Une langue de sable désertique, comme jamais foulée par l’homme. Un cadeau de la nature…

Gravière 43° 50' 08'' N - 1° 23' 47'' W 

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